Mécanismes économiques élémentaires

Qu'est-ce qu'un mécanisme économique ?

Depuis ses origines, la science économique cherche à identifier les lois qui seraient à l'œuvre au sein de l'économie, et ainsi décrire son fonctionnement interne. Cette démarche est sous-tendue par l'idée que l'économie est autonome et relativement indépendante des choix et souhaits des agents, fonctionnant de manière spécifique. Le point marquant de cette vision des choses est la connaissabilité : il est possible de décrypter les rouages de l'économie et de parvenir à une connaissance objective de son fonctionnement.

Nous nous inscrivons totalement dans ce principe organique de l'existence de mécanismes spécifiques à l'économie, que nous pouvons espérer mettre au jour et porter à la connaissance de tous, pour mieux comprendre les maux qui affectent l'économie contemporaine et espérer y remédier efficacement.

Mais notre démarche diverge quant à la dimension et l'étendue des mécanismes envisagés. Là où les économistes ont jusqu'à présent tenté de trouver quelques théories générales, couvrant l'ensemble de l'économie et décrivant son fonctionnement global, ce qui revient à des lois universelles (à la façon de l'astronomie), nous estimons que l'économie est constituée d'une multitude de petits mécanismes intervenant à des niveaux élémentaires extrêmement réduits (les grains vus précédemment), qui s'additionnent, se contrarient ou se chevauchent, avec des effets qui peuvent varier selon le contexte courant (un même mécanisme pouvant avoir un effet positif dans un cas, négatif dans un autre), de même qu'en leur présence ou leur absence (certains maux économiques pouvant être dus au manque de certaines choses autant qu'à l'excès de certaines autres).

L'idée générale est que des mécanismes simples peuvent suffire à expliquer de nombreux aspects locaux (ou grains) de l'économie contemporaine, tandis que c'est leur multitude et leur intrication qui contribuent à la complexité apparente de celle-ci.

Principe

Qu'est-ce qu'un mécanisme ?

Le terme est issu de la Mécanique. Pour cette dernière, un mécanisme est un assemblage de pièces en mouvement (leviers, engrenages,...) qui agissent les unes sur les autres, propageant une force exercée à l'une des extrémités du mécanisme à l'autre extrémité, en transformant le mouvement initial en un autre mouvement, soit plus réduit mais plus puissant (démultiplication), soit permettant de passer d'une rotation à une translation, soit encore l'inverse des transformations citées.

Qu'est-ce donc qu'un mécanisme économique ?

Le terme de mécanisme économique apparaît relativement peu dans la littérature du domaine, le plus souvent dans le titre d'ouvrages qui ensuite ne donnent aucune définition de ce concept. Le mot est même absent de leur index. C'est dire si la notion est floue et mal dessinée. Nous sommes donc assez loin d'une définition opérationnelle, qui permettrait un examen clair et producteur de sens.

L'un des rares auteurs ayant fait l'effort d'en préciser le contenu sous des formes opératoires est Henri Culmann, dans son fascicule Les mécanismes économiquesnote 1. Il les définit comme exprimant l'enchaînement chronologique d'une suite de phénomènes économiques dont chacun d'eux obéit au précédent note 2. Il les distingue en cela des lois économiques exprimant par une relation fonctionnelle ou causale l'interdépendance de deux ou plusieurs phénomènes économiques.

Les lois économiques établiraient, selon lui, un simple lien entre grandeurs économiques, tandis que les mécanismes décriraient les rouages à l'œuvre au sein des phénomènes. Je tend à penser de même, ayant remarqué que nombre de travaux en science économique portaient sur des relations prétendument causales entre deux grandeurs, mais dont les vérifications "sur le terrain" étaient des traitements statistiques de grande ampleur aboutissant certes à établir une relative corrélation entre ces grandeurs, mais en étant cependant dans l'impossibilité de conclure précisément quant à l'éventuelle causalité. Ajoutons à cela que les données sont issues de statistiques macroéconomiques publiques à l'échelle des pays voire des continents, ce qui fait que le moindre phénomène envisagé est mélangé à d'innombrables autres grandeurs, occasionnant de multiples interférences que nul ne peut, en toute honnêteté, espérer démêler.

Cette problématique de la causalité en économie et de son identification nous ramène aux mécanismes et à la définition qu'en donne Culmann. Celle-ci, en présentant la succession d'événements et leur interdépendance, le dernier occasionnant la survenue du suivant, établit la causalité dès la définition du concept, faisant de celle-ci la pierre angulaire de la démarche. Et cette appréhension du phénomène économique est bien entendu celle qui nous intéresse au plus haut point, car elle permet de mieux connaître les tenants et aboutissants des importants phénomènes économiques (tels qu'ils ressortent au niveau plus général, et donc sous forme de conséquences particulières pour chaque citoyen : chômage, perspectives de carrière, pénuries, inflation,...).

Avec une telle définition, le terme de "mécanisme(s) de marché" semble confus et inapproprié : en fait, un marché fonctionne grâce à un ensemble de mécanismes multiples et variés, qui peuvent jouer l'un contre l'autre, d'ailleurs, et dont la variété et le nombre nécessitent l'étude de leurs caractéristiques et différences. La volonté de simplification de l'économie, en vue d'une formalisation mathématique, a par ailleurs abouti à la contraction des études sur un petit ensemble très particulier de mécanismes, menant à l'exclusion de plusieurs caractéristiques des marchés réels qui ne rentrent pas dans le cadre des hypothèses de base des théories qui prévalent. Cet éloignement de l'économie réelle, au profit d'une économie très hypothétique, mène à des conclusions qui semblent de moins en moins correspondre aux évolutions de l'économie contemporaine (des entreprises de plus en plus grandes, régnant sur leur marché et faisant des profits colossaux, alors que le régime économique est plus proche que jamais des idéaux libéraux).

Il nous faut donc préciser encore la notion de mécanisme économique, pour aller plus avant dans l'analyse, afin de gagner en précision et en niveaux de détail.

En quoi un mécanisme économique est-il élémentaire ?

La perception d'un mécanisme économique doit tendre vers le plus petit niveau de précision possible, qui peut alors être l'agent économique individuel, voir même l'acte économique ou l'un de ses composants, mais peut aussi s'avérer être un ensemble un peu plus étendu (voir le contexte du mécanisme des seuils géographiques, dans le chapitre suivant). De manière plus générale, l'économiste cherchant à identifier un mécanisme doit focaliser son "microscope" de plus en plus, jusqu'à atteindre le seuil où l'un des minimaux requis par le mécanisme n'est plus satisfait. Alors le chercheur pourra envisager la succession d'événements caractéristique du mécanisme et les mettre en relief, pour une compréhension intime des rouages de l'économie.

C'est là une approche fondamentale différente de celle ayant prévalu, jusqu'à présent, pour les mécanismes "traditionnels" : les chercheurs visaient à la découverte de mécanismes globaux, valables en tous temps et tous lieux, généralisables et synthétiques ; cette démarche les amenait à rejeter les cas particuliers, les discordances du monde réel qui ne rentraient pas dans le moule théorique visé. Mais ce sont ces variations, ces écarts au modèle théorique qui sont intéressants, parce qu'eux seuls peuvent être la source d'une compréhension des différences existant entre agents économiques sur un même marché, au sein d'une même économie et nous mener à de nouvelles découvertes, augurant d'une meilleure appréhension de la complexité de l'économie contemporaine.

En lien avec la remarque précédente, notre objectif premier est de revenir à l'économie réelle, à la fois en tant qu'objet d'étude et norme de référence pour les travaux scientifiques en économie. A ce titre, tout mécanisme identifié doit correspondre à une réalité sur le terrain, et non à une théorie première qui tracerait un cadre dont il ne faut pas sortir. A chaque fois que le chercheur doit restreindre le champ de son microscope, soit parce qu'il discerne plus d'agents que nécessaire, ou parce qu'il rencontre des cas particuliers distincts, il peut considérer qu'il a découvert de nouveaux mécanismes (ou bien, éventuellement, retrouvé des mécanismes précédemment identifiés et caractérisés par des confrères). Le réel (re)devient la source de la découverte. Et ce caractère premier, cette primauté du réel, peuvent aller jusqu'à la sérendipité, démarche caractérisée par une découverte impromptue, au moment et là où on l'attendait le moins, pour laquelle est fondamentale la capacité du chercheur à repérer et identifier le fait nouveau, non sollicité et distinct de celui attendu.

Le caractère élémentaire du mécanisme a aussi pour intérêt d'assurer l'indépendance de celui-ci vis-à-vis d'autres phénomènes à proximité immédiate. Cette indépendance, outre qu'elle induise une séparation nette entre les différents rouages économiques, par la distinction fine de chacun et la connaissance précise de ce qui fait leur spécificité, constitue aussi, en retour, un critère d'évaluation, de caractérisation d'un mécanisme élémentaire. Sera considéré comme élémentaire un mécanisme qui intervient en toute indépendance, distinct d'autres phénomènes même proches et souvent associés à ce dernier. Cette indépendance est le principal garant de la précision de la causalité correspondant au mécanisme, en ce qu'elle identifie les tenants et aboutissants du mécanisme de façon distincte de tout autre phénomène apparenté.

En nous intéressant aux différents mécanismes élémentaires, nous étudierons l'économie d'une façon nouvelle, beaucoup plus objective que par le passé : tout d'abord, la considération de plus petits niveaux de détails, dans une plus grande diversité, nous permet de renouer avec l'économie réelle (plus besoin de travailler sur une économie théorique, ou sur des données continentales ou séculairesnote 3). Par ailleurs, l'ouverture de l'approche vers une multiplicité des mécanismes permet d'accepter des phénomènes particuliers, qui auraient été rejetés par les tenants des diverses chapelles théoriques ayant cours jusqu'à présent, pour une raison ou une autre ; en fait, la différence avec les mécanismes déjà connus est une occasion de découvrir un nouvel item et de l'ajouter au corpus des connaissances. En cela, le chercheur va rechercher les particularismes, au lieu de les rejeter.

L'indépendance et le niveau de détails le plus fin possibles vont faciliter ensuite l'étude du mécanisme sur le terrain, en permettant de l'extraire des divers contextes dans lesquels il peut apparaître. Cette capacité à être isolé est indispensable en sciences expérimentales, car une expérience a pour premier but d'isoler le phénomène étudié afin de le mesurer indépendamment de tout autre. S'il est difficile d'envisager des expériences provoquées en économie, cependant, le caractère élémentaire d'un mécanisme permettra de le repérer puis de le mesurer au sein de l'économie réelle, donnant accès à celle-ci pour les chercheurs en économie, au lieu des masses de données globales ou de l'économie théorique très simpliste qu'ils ont à leur disposition actuellement. La capacité à être isolé, mesuré indépendamment, est donc un critère majeur du mécanisme élémentaire, et un atout pour le scientifique. Il lui sera même possible, compte-tenu de sa proximité du terrain, d'interroger les acteurs en jeu dans son observation, ajoutant à la mesure fine un accès tout aussi précis aux motivations des choix des agents, renforçant la connaissance de la causalité réelle au coeur du mécanisme.

Le concept de mécanisme économique élémentaire est ainsi un outil fondamental d'exploration de l'économie réelle, en même temps que le résultat de la compréhension fine de son fonctionnement, ainsi que la source de potentiels remèdes aux maux dont souffrent les économies de par le Monde.


1 Les mécanismes économiques, Henri Culmann, Que sais-je ? n°27, 8° édition, Presses Universitaires de France, Paris, 1948-1974

2 ibid. page 8

3 Trop de travaux dits "empiriques" reposent sur des masses statistiques allant de 1900 à nos jours, et/ou portant sur tous les pays européens.

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